Ecrire et le péché mignon

Publié le par Philolangue

 Pendant plusieurs années, à chaque fois que je voulais me mettre à écrire, une sorte d’angoisse envahissante, me gelait et m'en empêchait. J’avais peur. Peur d'écrire? De ne pas pouvoir écrire pour être compris par mes lecteurs ? Je ne crois pas. Peur d'être déporté au camp des écrivains ratés? Non plus. J’avais juste peur de pécher. Peur de faire le mal à cause de la pression des personnes qui m’entouraient pendant mon enfance et mon adolescence. Peur de « lui ». Celui qui me donnait « des conseils » sur un ton sec et moqueur.

- Tu n'es qu'un écrivain de lettres ! Mais, combien de fois je dois te le répéter ? Va apprendre un métier. Écrire n'est pas un travail. Ça t'apporte rien. Ni de l'eau ni du pain. Tu comprends ça, MONsieur LE poète?  Me répétait mon oncle fâché en serrant les dents pour contrôler sa colère.

Toutes ces ironies humiliantes, juste parce que j'avais osé écrire une lettre d'amour à une fille ! Déclaration interdite par le tabou mettait tout le monde mal à l'aise.  

Déçu et découragé par mon oncle pourtant préféré et bien aimé, j'arrêtais l'écriture. Pour lui et pour beaucoup de membres de ma famille, écrire à une fille pour déclarer la flamme de son amour était juste mal, très mal voir un péché. Ensuite, tout le monde, y compris lui, s'arrangeait pour éviter que je la croise.

Le plus douloureux dans cette histoire, c’est que tout le monde était au courant du contenu de ma lettre et se permettait fièrement de faire des commentaires ouverts et ainsi dévoiler mon intimité.

Ensuite il y a eu les séances d’humiliation. J'ai eu droit aux "conseils" de mon entourage : cousins, oncles, et tantes.

- Alhamdoléllah (Dieu merci) mes enfants n'ont jamais écrit des saloperies pareilles. C'est un péché ! Comprenez-vous ma sœur, un péché capital? se la pétait ma tante à sa façon théâtrale en s'adressant à ma mère.

- En plus ça rapporte pas d'argent. Ajouta Hadji, son mari.

 Un inalphabet qui voyait tout par la fenêtre de l’argent et avait pu réussir à ramasser pas mal d’argent en exploitant les autres. Son obsession pour l'argent n'était cachée à personne.

Je n'avais pas ce genre d'obsessions, mais me culpabilisais de temps en temps de ne pas être un adorateur du pouvoir économique. Mais avec le temps, et avec des amis qui me rassuraient en me donnant de bons et de vrais conseils, j'ai fini par arrêter de me culpabiliser. Un de mes amis, c’était Sa’adi le grand sage et poète iranien du 13ème siècle : « La fortune n’est pas éternelle. Soit elle est volée en bloc par les bandits, soit la personne fortunée l’épuise par petits bouts

Longtemps après ce drame familial, j'ai croisé la fille dans la rue. Mariée et mère de trois enfants, elle était aussi belle que le premier jour que de notre rencontre. Nous avons parlé du passé. Je me suis excusé d'avoir écrit la lettre et ainsi lui causer des problèmes familiaux.

- Oui, j'ai eu droit aux séances d'instruction et ai été interdite de sortir de la maison pendant un bon mois. mais ça valait la peine.

- Pardon? Ça valait la peine!

- Oui, ta lettre m'a bouleversée. Ta déclaration d'amour était si sincère qu'elle m'a enflammée. Au point que j'étais prête à t'offrir ma virginité.

Je suis devenu tout rouge et nous nous sommes esclaffés. Nous avons timidement échangé quelques regards et nous nous sommes salués.

Depuis ce jour là, je n'ai plus honte de moi et  je ne regrette plus d'avoir écrit cette lettre. Car je cherche ma richesse dans mes écritures. La toute première, c'est que je n'ai plus peur d'écrire, je me suis mis à écrire des poèmes et des nouvelles.

Aujourd’hui, mon oncle n'est malheureusement plus en vie, mais en me voyant heureux, de là où il est, je suis certain qu'il se dit : "Ah, c'est pas si mal de pécher parfois! Surtout des péchés si mignons."

Publié dans Petites histoires

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article